La verrière du passage du Bourg-l’Abbé à Paris

Le passage du Bourg-l’Abbé, passage couvert vitré, a été créé à Paris au début du XIXe, par un architecte peu connu, Louis Adrien Lusson. Il se situe en cœur d’îlot entre la rue Saint Denis, au débouché du numéro 120, et de la rue Palestro, à hauteur du numéro 3, presque dans le prolongement du passage du Grand-Cerf. Le nom de Bourg-l’Abbé, que portait également la petite rue qui désormais est devenue la rue Palestro, à l’ouest, provient historiquement de la proche et prestigieuse abbaye de Saint-Martin-des-Champs

Lors de son inauguration en avril 1828, Louis Adrien Lusson a déjà dirigé les travaux du marché Saint-Germain pour J.B. Blondel, construit la halle d’octroi dans les années 1821- 1825 (dont il subsiste une partie 9, rue Chauchat dans le IXe arrondissement) : il a œuvré de 1823 à 1826 pour la construction du passage Vivienne aux côtés F-J. Delannoy. S’il existe des dessins du passage Vivienne dans le fonds Lusson à la bibliothèque du Mans, malheureusement aucun dessin ou plan du passage du Bourg-l’Abbé n’a été retrouvé. L’architecte est également l’auteur de la halle ronde du Mans dont il est natif.

Le passage du Bourg-l’Abbé participait à un ensemble architectural et urbain formé par le passage du Grand-Cerf, couvert en 1825, et le passage de l’Ancre non couvert « Cette communication, vis-à-vis de la Galerie du Grand Cerf, et se liera au passage de l’Ancre, ce qui facilitera l’abord de la rue St-Martin, presque toujours encombrée de voitures »1 . Il fut sérieusement écourté par le percement du boulevard Sébastopol lors de grands chantiers du Second Empire et cicatrisé du côté boulevard par un nouveau porche légèrement désaxé, avec une façade plus monumentale construite en 1879 par l’architecte Henri Blondel.

Il y a trois ans, à la suite d’un incendie dû à un court-circuit et devant le constat de délabrement général, la copropriété décida d’entreprendre des travaux de “rénovation”. Inscrit à l’Inventaire depuis le 21 janvier 1991, il bénéficie d’une exigence de qualité demandée par Caroline Piel, Conservateur du patrimoine et par M. Luc Liogier, architecte des bâtiments de France chargés du dossier.

Une étude préalable a précédé le projet architectural et technique concernant les parties hautes communes incluant le traitement de la “verrière” lors de la première phase du chantier.

Louis-Adrien Lusson qui fait sa carrière d’architecte au service la Ville de Paris, est un élève de Percier et Fontaine. En utilisant le verre sur une ossature en métal très fine, il a compris tout l’intérêt de l’abondance de lumière par rapport aux anciennes structures en bois, surtout dans un passage urbain où l’éclairage zénithal prime. Ce procédé, fondement de ce type architectural en assurera la renommée. « La perfection monumentale a ici moins d’importance que l’effet spectaculaire de la couverture vitrée et l’aspect somptueux d’un décor architectonique très élaboré, apparentant le passage au palais plutôt qu’à la boutique dont il est pourtant le support »2 .
Louis-Adrien Lusson voyageait à travers l’Europe ; la thèse, déposée à la médiathèque du Mans, sur sa carrière mentionne un voyage en Angleterre en 1827, juste avant la mise en œuvre du passage. Or, Outre Manche, Loudon « the true father ofNcurvilinear iron and glass architecture »3 a déjà publié « sketches of curvilinear Hot-houses » en 1818. Plusieurs édifices dont la grande serre de Mrs Beaumont à Bretton Hall dans le Yorkshire impressionnent ses contemporains en quête d’amélioration de leur “green-house” et les architectes à l’écoute des découvertes techniques qui bouleversent ce premier tiers du Siècle de l’industrie. La technique du verre courbe mise en œuvre au passage du Bourg-l’Abbé a sûrement marqué Pierre Léonard Fontaine qui utilisera un principe identique pour la galerie d’Orléans construite un an plus tard de 1829 à 1831.

Entreprises
Maçonnerie, pierre de taille : Pierre Noël, Paris.
Couverture : Chanzy-Pardoux, Ars-sur-Moselle.
Menuiserie : Chalufour, Carouges.
Serrurerie : Serres et Ferroneries d’Antan, Savigny-sur-Bray.
Verre : Perrin et Perrin, Paris.

La technique de la coulée sur table

Au début du XIXe siècle, on employait toujours le procédé datant du XVIIe de la coulée du verre en fusion sur table de métal avec une égalisation de l’épaisseur par le laminage c’est-à-dire le passage d’un rouleau en fonte. Le verre est lissé à l’aide d’un râteau. Les ouvriers sont coiffés d’un grand chapeau en feutre dont le bord avant plongeant les protège de la chaleur ardente.

L’examen de la photo d’Atget permettait d’envisager la restitution d’une couverture cintrée, divisée en six grands modules par ferme en remplacement de la couverture en tuiles plates en verre mise en place. La technique du verre utilisée lors de la restauration a intégré la nécessité de respect des normes de sécurité, car, si le passage couvert a un statut privé, son utilisation est d’un usage public… Le verre est donc thermoformé, armé et feuilleté (deux couches de verre collées à la résine).

C’est à la fin du XIXe siècle qu’apparaît la technique du verre armé et du verre flotté (Float). On peut d’ailleurs, avec intérêt, apercevoir encore plusieurs panneaux intégrant une maille de fil de fer qui a flué avec le verre sur des panneaux anciens encore en place dans le passage des Panoramas ou dans le lanterneau en verre qui éclaire l’atelier de l’ébéniste Lully, passage du Bourg-l’Abbé.

Le verre mis en œuvre par les verriers Perrin et Perrin4 a été cintré par panneaux composés de deux feuilles de verre superposé de cinq millimètres d’épaisseur, avec une maille d’inox intégrée. Le verre n’est pas mécanique ; une des faces est légèrement irrégulière comme la face supérieure du verre coulé sur table et la lumière ainsi filtrée déforme souplement les immeubles qui encadrent le passage comme des vitrages anciens.

L’ossature en fer et fonte de fer a été repeinte en blanc suivant les indications et sondages effectués par le restaurateur Jean-Yves Bourgain. La teinte correspond probablement au blanc de plomb ou d’étain préconisé à l’époque (ou la peinture au noir du goudron) pour protéger les fers qui devaient auparavant être chauffés “rouge”. L’impact du vitrage transforme le blanc en vert d’eau, couleur des trumeaux peints, accompagnant le décor délicat conçu par Louis Adrien Lusson. Dans sa recherche de lumière, l’architecte avait mis en place des glaces qui réfléchissent la verrière dans les tympans des extrémités, et prévu des pilastres miroirs pour scander les devantures du passage.

La technique des glaces était exécutée par les mêmes équipes que celles qui accomplissaient l’art de la vitrerie. Les lanternes à gaz en forme de tulipe documentées par le cliché
de 1907 vont également pouvoir être restituées, en verre soufflé, par les verriers selon la technique d’époque.

Agnès CAILLIAU
Architecte

  1. Le Moniteur universel - 7 février 1828.
  2. François LOYER, Le Siècle de l’industrie, Ed. Skira.
  3. Le vrai père de la fonte et du verre affirme John Hix.
  4. Atelier au 220, rue du Faubourg Saint-Martin, Paris.
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